Aussi brillante, aussi atypique que l’on puisse être, quand on est une femme, on est souvent menacée par la société et l’Histoire de n’être réduite qu’à l’ombre plus ou moins dense, plus ou moins effacée du « grand homme » dont on partage la vie.
Cette réalité toujours prégnante aujourd’hui, l’était bien plus encore en 1970, lorsque meurt Elsa Triolet, épouse, compagne, camarade de Résistance de Louis Aragon et surtout, top méconnue, la Première femme Prix Goncourt en 1944, passeuse de culture entre la France et la Russie soviétique, féministe d’une modernité toujours actuelle.
Elsa Triolet, née Ella Kagan, était née en Russie, à Moscou, le 12 septembre 1896 dans une famille juive assimilée et très cultivée de l’intelligentsia,
Son père est avocat, sa mère une pianiste de talent.
Dans cette famille aux idées libérales et contestataires, on ne se préoccupe pas de religion.
L’immense pays est étouffé par le joug du tsar Nicolas II.
Très tôt, Ella -la future Elsa- se révèle une élève douée qui dès l’âge de 6 ans apprend le Français et va, par l’intermédiaire de sa soeur aînée Lili Brik, la future épouse de Maïakovski, son inoubliable passion, fréquenter étudiants et artistes révolutionnaires qui participent à l’effervescence culturelle russe des 20 premières années du XXème siècle.
En 1917, elle connaît un officier de la mission française -André Triolet- qu’elle épouse et suit à Limoges, puis jusqu’à Tahiti. De retour en France , elle se séparera de lui après un séjour à Nice en février 1921, tout en conservant des relations amicales. elle gardera d’ailleurs son nom, même divorcée.
A Paris, elle fréquente Marcel Duchamp, Picabia, Man Ray, Sonia et Robert Delaunay, Fernand Léger , Ilya Ehrenbourg, les surréalistes et artistes de Montparnasse.
En 1928, elle rencontre Aragon.
Si elle assure qu’ils étaient « mûrs pour se rencontrer ». Tous deux qui ont déjà des parcours personnels atypiques, mettront plusieurs années à trouver un équilibre. A partir de là, ils partageront, sans jamais se confondre, les bouleversements, espérances, illusions et échecs du XXème siècle.
Elsa Triolet n’a pas laissé ni mémoires ni autobiographie. Si on veut connaître cette « femme complexe, amoureuse et inquiète, porteuse des promesses et des beautés de l’aube », apparemment si « classique » et pourtant tellement d’avant-garde hier comme aujourd’hui, il faut passer par son oeuvre – ses vingt-sept livres- et une vie tourmentée qui fut à l’image de ce siècle.
Elsa Triolet -qui avait été encouragée à écrire par Gorki- disait: « Pour ce qui est de moi, j’écris en français, mais je suis russe: je suis une Russe qui écrit en français ».
En même temps Elsa Triolet était une très grande dame des lettres françaises et une journaliste fine et attentive, critique dramatique, littéraire qui, par exemple, dès février 1964 écrivait dans « les Lettres françaises » qu’elle était une « fan » de Johnny Hallyday, alors débutant: « Vous trouverez cela grotesque ? Vous avez tort, je suis à l’âge où, si l’on n’est pas un monstre, on aime ce qui est en devenir »…
« l’Humanité » vient de publier un Hors-série de d’une très grande richesse -on y croise Erik Orsenna, Edmonde Charles-Roux, Pierre Juquin, Ariane Ascaride, Alice Zeniter, Francis Combes…, et aussi des universitaires spécialistes: Marie-Thérèse Eychart, Marianne Delranc-Gaudric, etc, et évidemment, incontournable, le poète et exécuteur testamentaire, Jean Ristat.
Outre les présentations et analyses, ce Hors-série comprend des inédits d’Elsa Triolet, une bouleversante lettre à Louis -qui ne lui fut jamais remise- et des documents permettant de découvrir les multiples visages méconnus d’Elsa Triolet, de « voir la Femme dans toute son envergure, de l’écrivaine à l’artiste, de la journaliste à la militante » (Patrick Le Hyaric)
Passionnant.
A découvrir absolument.
Hors-série »L’Humanité »: « Le feu d’Elsa » (8,90 €)
conçu en partenariat avec la Maison Elsa Triolet-Aragon.
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Le blog de Paul Euzière 