Mgr JACQUES GAILLOT, CELUI QUI APPELAIT A « PASSER SUR L’AUTRE RIVE »


Mgr Gaillot MJC Grasse-Portrait2
Jacques Gaillot – Photo Gilbert Andruccioli

Septembre 1987, Pierre-André Albertini  jeune coopérant, qui pour avoir aidé les combattants de l’A.N.C. clandestine a été emprisonné durement pendant onze mois dans l’Afrique du Sud de l’Apartheid, est enfin libéré après une grande campagne nationale et internationale organisée notamment  par le Parti Communiste Français et les J.C.
Fin juillet 1988, il est invité à Nice à la Fête du Château et présente son livre « Un Français en apartheid » (Ed. Gallimard).
Il séjourne quelques jours à Grasse.

Hiver 1989, P-A  Albertini  m’invite à Evreux -où vivent ses parents- à un repas où je rencontre Jacques Gaillot, alors évêque du diocèse, qui a été très actif pour sa libération.
Je découvre un homme extrêmement simple, à la voix douce mais aux valeurs chevillées, dont toute la vie est tournée vers les autres, pas simplement « les siens » -les catholiques, les croyants- mais tous les autres, quels qu’ils soient, d’où qu’ils viennent.

LA FRATERNITE, QUOI QU’IL EN COÛTE

Sa mission et sa foi, Jacques Gaillot les concevaient ainsi dans des engagements intenses guidés par une fraternité intransigeante et inévitablement  dérangeante et iconoclaste.
Celui qui fut pendant treize ans Evêque d’Evreux (1982-1995) jusqu’à ce que le Pape Jean-Paul  II  le destitue et le nomme « Evêque in partibus » de Partenia, un diocèse algérien de la région de Sétif disparu au Vème siècle était la voix des opprimés, « l’Evêque des marges » ou plutôt l’Evêque de ceux de l’autre rive,  une figure hors norme de l’épiscopat français qui exprimait son soutien aux SDF, aux sans-papiers, aux homosexuels, aux divorcés, aux Tahitiens contre la reprise des essais nucléaires à Mururoa, aux Palestiniens en lutte pour leurs droits nationaux.
Jacques Gaillot disait « Une société se juge à la manière dont elle traite les plus fragiles, les malades, les prisonniers, les migrants, les gens de la rue…  Ils ont autant besoin de respect que de secours ».

Un évêque qui  lors de la Célébration du Bicentenaire de la Révolution de 1789, au grand dam du cardinal Lustiger qui, lui, refusa d’être présent à la cérémonie, fut le seul de l’épiscopat français à assister le 12 décembre 1989 à la panthéonisation de l’Abbé Grégoire, haute figure de la Révolution française qui réclama l’abolition totale des privilèges et de l’esclavage et fut l’un des artisans du décret de septembre 1792 qui donna la citoyenneté aux Français de confession juive.

DE LA PALESTINE ET D’UNE FAÇON D’ÊTRE

Au début des années 1990, le Festival TransMéditerranée (FTM) organisa à la MJC de Grasse une soirée avec repas et rencontre avec Jacques Gaillot et un éminent spécialiste de la Physique nucléaire, le Professeur Taysir Arouri de l’Université palestinienne de Bir Zeit que les Israéliens avaient expulsé vers la France fin août 1989.
Taysir Arouri était soupçonné par les autorités d’occupation d’être le responsable de l’Intifada au sein de cette université.
Jacques Gaillot s’était rendu à Jérusalem le Noël précédent.
Avec un rare tact, il apporta son témoignage mais aussi il utilisa son image médiatique pour la réussite de cette soirée.

A France 3-Côte d’Azur, on était surtout intéressé par Jacques Gaillot qui avait donné  quelque temps auparavant une interview à l’hebdomadaire homosexuel « Le Gai Pied ». Mais, avec une grande finesse et au grand désespoir de la journaliste qui le questionnait, l’Evêque d’Evreux ramenait systématiquement le sujet sur la Palestine et passait la parole à Taysir Arouri qui « était -assénait-il- la personnalité principale de la soirée ».

Lorsque nous sommes arrivés à la MJC de Grasse, un repas auquel participait plus de deux-cent cinquante personnes était largement commencé.
J. Gaillot -fatigué par l’invraisemblable parcours qu’il avait fait jusqu’à Cannes depuis Evreux  car il avait un billet inutilisé et qu’il voulait ne rien coûter au Festival TransMéditerranée- prit le temps de passer à toutes les tables, de saluer, de discuter avec chacun à tel point qu’il fallut finalement aller le tirer par la manche en lui rappelant qu’il devait manger quelque chose car la conférence allait commencer quelques minutes plus tard.
Les autres avant soi-même. Savoir s’effacer pour mieux avancer : toute une façon d’être.

Nous l’avons retrouvé ensuite au Colloque « Méditerranée, carrefour des solidarités » organisé à Bastia par la FTM avec la ville et la CCAS des Electriciens et Gaziers, puis à nouveau à Grasse fin 1997 venu nous apporter son rayonnement fraternel à un moment difficile.
Le lien n’a jamais été rompu.

Le 29 octobre Monseigneur Gaillot intervenait à Bruxelles  où une manifestation était organisée pour le peuple palestinien devant le Parlement Européen : « … Nous sommes ici pour réclamer la justice. Chaque jour, des jeunes Palestiniens sont tués ou blessés à vie par l’armée israélienne. La vie d’un Palestinien compte. Sa dignité n’est ni à prendre ni à vendre… »

LA BOMBE DE L’EXCLUSION SOCIALE

Dans un communiqué, le Mouvement de la Paix  rend hommage à un ami et rappelle tous les engagements de Jacques Gaillot :  « …Il participa en France à de nombreux débats sur cette question et le 15 octobre 1995, il était en tête de la manifestation de 20 000 personnes à Crozon (Finistère) devant la base de sous-marins nucléaires pour dire « Non aux essais, oui à un monde sans armes nucléaires » aux cotés de Théodore Monod et de Simone de Bollardière, de représentants d’Hibakushas (survivants d’Hiroshima), de délégués venant de divers pays (Allemagne, Japon, Grande Bretagne, …), des responsables nationaux du Mouvement de la Paix (Daniel Cirera , Daniel Durand Secrétaires nationaux, Roland Nivet actuel Porte-parole national du Mouvement de la Paix…) et de nombreuses organisations membres du Collectif national contre les essais.
Dans un article de Libération du 16 octobre 1995, Hervé Allain, journaliste de Libération, rendait compte de cette manifestation en écrivant « hier matin, plusieurs tables rondes avaient été organisées avec des personnalités de toutes nationalités. Mgr Jacques Gaillot, qui dédicaçait son dernier ouvrage intitulé « Coup de gueule contre les essais nucléaires », expliquait : « Chez nous, nous avons la bombe de l’exclusion sociale et c’est elle qui devrait attirer toute notre attention » ».

                                                                                                                                                                                        Paul Euzière
                                                                                                                                                                             Mardi 18 avril 2023

1 Responses to Mgr JACQUES GAILLOT, CELUI QUI APPELAIT A « PASSER SUR L’AUTRE RIVE »

  1. Il y allait de bon coeur…

Laisser un commentaire